Pourquoi la Chine dépense-t-elle 400 milliards de dollars pour un chemin de fer traversant des montagnes vides au Tibet ?
Par Arnaud Bertrand – Source Blog de l’auteur
Après l’annonce du projet de barrage de Yarlung Tsangpo plus tôt dans l’année, la Chine vient de lancer un autre projet d’infrastructure extrêmement stratégique au Tibet dont je n’ai vu presque personne discuter. Pourtant, il coûtera probablement 300 à 400 milliards de Yuans, bien plus que le PIB annuel du Tibet (qui était de 276,5 milliards de RMB en 2024).
C’est une nouvelle ligne de chemin de fer qui reliera Hotan (Hetian) dans la province du Xinjiang à Shigatse (Xigazê) au Tibet (voir ma vidéo ci-dessous), traversant presque tout l’Himalaya, le long de la frontière sud du Tibet avec l’Inde et le Népal.
Ce sera l’un des projets ferroviaires les plus coûteux jamais entrepris, surtout quand on regarde le nombre de personnes qu’il desservira : il n’y a actuellement que 500 000 de personnes vivant sur le tracé de la ligne – pratiquement vide selon les normes chinoises – ce qui signifie qu’il est susceptible de coûter près de 1 million de yuans par habitant local.
Alors pourquoi construire une telle ligne de chemin de fer dont le coût est tellement élevé et que les gens qu’elle dessert sont si peu nombreux ?
Parce que ce projet est extrêmement stratégique pour plusieurs raisons.
- 1 Stratégie chinoise de « renaissance de la puissance terrestre«
Je n’ai pas besoin de rappeler à mes lecteurs extrêmement instruits la célèbre “Théorie du Heartland” de Halford Mackinder – l’idée que c’est l’Eurasie enclavée, et non les mers, qui déterminerait en fin de compte la puissance mondiale. Pendant 500 ans, cela a semblé être spectaculairement faux. La théorie rivale de la « puissance maritime » d’Alfred Thayer Mahan semblait pleinement justifiée : depuis le XVIIème siècle, chaque grande puissance a été une puissance maritime ; le Portugal, l’Espagne, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et maintenant les États-Unis. Même le miracle économique de la Chine est venu d’une production faite sur les côtes chinoises et du commerce maritime qui s’ensuit. Aujourd’hui, 90% du commerce mondial se fait encore par voie maritime.
Cela pourrait être sur le point de changer avec la dénommée « renaissance de la puissance terrestre » chinoise ; une stratégie qui coutera des milliers de milliards de dollars, dont ce chemin de fer fait partie.
Comme c’est souvent le cas, la Chine adopte une approche tout-en-un : le moyen le plus sûr de gagner est de se préparer à tous les futurs possibles. La Chine a construit la plus grande marine du monde parce que Mahan a toujours raison, pour l’instant. Mais en investissant des milliers de milliards de dollars dans la connectivité transcontinentale, la Chine souscrit une police d’assurance sur la vision de Mackinder, pariant que connecter les 75% de l’humanité vivant en Eurasie pourrait finalement être aussi important que de contrôler les océans. C’est une stratégie à couper le souffle et coûteuse que seule la Chine pourrait tenter : devenir la puissance maritime dominante tout en rendant simultanément la puissance maritime potentiellement obsolète. Face je gagne, pile tu perds.
Cela a toujours été au cœur de l’initiative des Nouvelles routes de la soie qui, pour rappel, a été lancée en Asie centrale : Xi Jinping l’a annoncée à Astana, au Kazakhstan en 2013, qui, ce n’est pas un hasard, est au cœur même de la « zone pivot » de Mackinder. Le choix du lieu, un pays aussi éloigné de tout océan que possible sur Terre, fut le message – la Chine signalait son intention de ressusciter la Route de la Soie (d’où le nom de cette route), reliant le cœur de l’Eurasie avec des infrastructures.
Ce nouveau chemin de fer constituera une nouvelle artère clé qui reliera ce réseau de connectivité au cœur du pays. Il reliera le Tibet – qui, pour rappel, est un immense territoire couvrant 1/8 ème de la Chine – à l’Asie centrale et au-delà le Xinjiang, ainsi qu’à des chemins de fer prévus pour atteindre le Népal, puis potentiellement l’Inde ou le Bangladesh.
Cela fait partie d’un effort plus large visant à relier le Tibet au reste de la Chine et au monde : combiné au chemin de fer Qinghai-Tibet existant, au chemin de fer Sichuan-Tibet en construction et au projet de chemin de fer Yunnan-Tibet, il complète un réseau de 5 000 km faisant de Lhassa – le “toit du monde” – une plaque tournante logistique majeure inattendue. Mis ensemble, ces projets d’infrastructure logistique injectent des centaines de milliards de dollars d’investissements en infrastructures dans la province la moins peuplée de Chine (moins de 4 millions d’habitants) qui ne génère que 35 milliards de dollars de PIB annuel : une folie économique totale – à moins que vous ne vous preniez au jeu de Mackinder.
Il y a aussi un aspect ressource crucial : le plateau Qinghai-Tibet par exemple représente environ 30 % des réserves totales de lithium sur Terre. Il est également très riche en cuivre (plus de la moitié des réserves de la Chine), en chrome et en terres rares – précisément les minéraux nécessaires aux véhicules électriques, aux batteries et aux infrastructures d’énergie renouvelable. Mais ces richesses étaient économiquement hors d’atteinte, les coûts de transport rendent l’extraction non rentable alors que vous pouvez expédier du cuivre chilien ou du lithium bolivien moins cher par voie maritime. Ce chemin de fer change complètement le calcul. Soudain, le Tibet passe d’une périphérie riche en ressources mais inaccessible au statut de réserve minérale stratégique de la Chine, prête à alimenter la transition verte sans dépendre des chaînes d’approvisionnement maritimes.
- 2 Consolidation territoriale
Une autre raison clé, sinon la principale, du nouveau chemin de fer est la consolidation territoriale : il s’agit de cimenter de manière permanente le contrôle de la Chine sur sa frontière occidentale, en particulier les zones contestées, rendant la souveraineté chinoise sur ces régions frontalières éloignées physiquement irréversible.
Le chemin de fer traverserait ce que l’Inde appelle “l’Aksai Chin”, un territoire chinois qu’ils contestent et revendiquent comme faisant partie du Ladakh.
Ce qui fait de la construction du chemin de fer un problème potentiellement explosif car c’est la construction d’une route là-bas par la Chine, à la fin des années 1950, qui a été l’un des principaux déclencheurs de la guerre sino-indienne de 1962. Et ce nouveau chemin de fer longera cette même route, connue sous le nom de « China National Highway 219« .
En effet, la construction de ce chemin de fer montre que la Chine poursuit une stratégie de création de faits irréversibles sur le terrain. Vous ne dépensez pas 400 milliards de RMB pour des infrastructures qui risquerait d’être cédées au cours de négociations.
Il y a aussi une forte dimension militaire : avec ce chemin de fer, la Chine serait en mesure de déployer des troupes et du matériel en quelques heures le long de sa frontière occidentale avec l’Inde, beaucoup plus facilement que l’Inde ne le pourrait, ce qui modifie fondamentalement l’équilibre stratégique et donne à la Chine un avantage insurmontable dans toute confrontation future. Ce qui rend sans aucun doute la guerre moins probable : la parité militaire invite au conflit, tandis qu’un avantage écrasant crée la dissuasion. Le différend passe d’un conflit potentiellement brûlant à un conflit gelé en permanence – non résolu mais stable.
Enfin, en reliant le Tibet de manière aussi granulaire au reste de la Chine, Xi emprunte au livre de Qin Shi Huang (le premier empereur de Chine) dont le véritable génie ne fut pas tant d’unifier toute la Chine pour la première fois que de rendre une future fragmentation de la Chine pratiquement impossible : il a veillé à ce que pendant les 2500 années suivantes, la Chine se reconstituerait toujours, peu importe le nombre de fois où elle se fracturerait.
Comment ça ? Par une infrastructure civilisationnelle partagée. Qin a défini un script commun, une devise, des mesures mais aussi, surtout, des normes d’infrastructure construites (comme des largeurs d’essieux normalisées pour les routes) ainsi que des infrastructures réelles telles que des routes, des canaux et des fortifications (la Grande Muraille!); tout cela dans le but de faire bouger l’empire comme un seul organisme qui aspirerait toujours à son état naturel d’unité, créant une attraction gravitationnelle vers l’unité qui a survécu à la chute de chaque dynastie.
Ce chemin de fer et la connectivité qu’elle permet entre le Tibet et le reste de la Chine suivent à peu près le même principe consistant à rendre l’unité plus naturelle que l’indépendance. Chaque tunnel dynamité, chaque kilomètre de voie posée, chaque chaîne d’approvisionnement acheminée à travers ces montagnes crée un autre fil dans un réseau d’interdépendance. Et dans son aspect de définition des frontières, ce chemin de fer fait aussi en quelque sorte ce que la Grande Muraille a fait ; définir des frontières permanentes et intégrer la périphérie.
- 3 Développement économique et tourisme
Une dernière raison pour ce chemin de fer, évidente celle-là, est de stimuler le tourisme et le développement économique du Tibet.
En fait, compte tenu des montants en jeu, le Tibet pourrait bien bientôt devenir l’une des régions les plus riches de Chine par habitant. À l’insu de beaucoup, la croissance économique du Tibet a été plus rapide que celle de la Chine dans son ensemble depuis plusieurs années déjà, et la croissance est exponentielle : il a fallu au Tibet 50 ans pour atteindre ses premiers 100 milliards de yuans de PIB, mais seulement six ans pour atteindre la deuxième tranche de 100 milliards de yuans. Au premier trimestre 2025, le PIB de la région a augmenté de 7,9% en glissement annuel, dépassant de loin la moyenne nationale de 5,4%.
Aujourd’hui, le PIB nominal par habitant du Tibet est de 88 116 RMB (sur la base des chiffres du PIB de 2024), soit environ 12 400 dollars, ce qui rend le Tibétain moyen beaucoup plus riche que le Brésilien moyen (9 964 dollars), le Thaïlandais moyen (7 767 dollars) ou, encore plus frappant, l’Indien moyen (2 878 dollars).
Certes, ils sont encore environ 9% plus pauvres que la moyenne des Chinois (13 687 dollars), mais avec des centaines de milliards de yuans injectés dans une région de seulement 3,7 millions d’habitants, cet écart pourrait se combler rapidement. Ce nouveau chemin de fer représente à lui seul plus de 15 000 dollars par Tibétain d’investissement dans les infrastructures, soit plus que leur revenu annuel actuel. Si même une fraction de cela se traduit par une activité économique durable à travers le tourisme et l’exploitation minière, le Tibet pourrait devenir l’une des régions les plus riches par habitant de Chine.
Il y a des précédents : le chemin de fer Qinghai-Tibet a fait passer le tourisme de 1,6 million de visiteurs en 2005 à 63 millions selon les derniers décomptes, soit une multiplication par 40. Si le nouveau chemin de fer déclenche ne serait-ce qu’un quart de cette croissance, le Tibet pourrait accueillir plus de 100 millions de visiteurs annuels.
Cela aussi, en soi, a un effet de consolidation territoriale : si les Tibétains s’enrichissent plus rapidement que la plupart des Chinois, voyagent librement et facilement à Pékin et Shanghai pour l’éducation et les affaires, et constatent des avantages tangibles de l’intégration, le calcul change. Les griefs économiques ont toujours été plus faciles à résoudre que les griefs politiques, et s’attaquer aux premiers atténue les seconds.
Conclusion : comme c’est souvent le cas en Chine, ce qui à première vue pourrait ressembler, pour certains, à un parfait exemple de gaspillage insensé de dépenses publiques – et il ne fait aucun doute que certains médias occidentaux présenteront ce cas comme ils le font systématiquement avec les dépenses d’infrastructure de la Chine – est en fait un exercice assez sophistiqué de planification stratégique multidimensionnelle.
Ce projet ferroviaire unique avance au moins quatre objectifs stratégiques qui justifieraient probablement chacun à eux seuls son coût : sécuriser une base de ressources pour la transition énergétique, créer des faits irréversibles sur un territoire contesté, se prémunir contre la vulnérabilité maritime et aider à apaiser les tensions politiques délicates grâce au développement économique.
De “400 milliards pour un chemin de fer traversant des montagnes vides”, il devient soudain clair que cela pourrait en fait être l’accord le moins cher de tous les temps s’il contribue simultanément à prévenir la guerre avec l’Inde, un blocus maritime potentiellement dévastateur et une dépendance aux ressources qui pourraient paralyser les ambitions technologiques chinoises. Les États-Unis ont dépensé 2 000 milliards de dollars en Afghanistan pour ne rien accomplir ; la Chine dépense moins d’un trentième de cela (400 milliards de RMB, soit 56 milliards de dollars) pour sécuriser des minéraux critiques, stabiliser une frontière, cimenter l’unité du pays et construire une alternative aux routes commerciales maritimes. Ce ne sont pas des dépenses publiques inutiles et c’est à quoi ressemble une grande puissance qui réfléchit stratégiquement à son avenir.
Arnaud Bertrand
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The benefits and risks of foraging your own food
On an unseasonably warm April evening, I stand on a beach in southern England, lifting a soggy lump of seaweed to my nose. It smells sharp and tangy. The hard, flat fronds are logged with tufts of green vegetation, sea water and sand.Apparently, this one is best fried.
I am taking part in a seaweed foraging course on the Jurassic Coast, and as we clamber along the shoreline, with the Sun taking us into golden hour and mist forming above the sand dunes, our guide Dan Scott gives us some more cooking advice. "This one becomes mucilagenous – snotlike, a great word – when you cook it," he says, brandishing another sandy specimen.
As I pick the dry clumps of seaweed from some small rocks, then squeal in unison with a handful of the other course participants as we tease razor clams out from the sand with salt (and later release them), I ponder the bigger picture. Does foraging help us reconnect with nature? I've always assumed so. And what about the flip side? Is foraging good for the planet?
The benefits and risks of foraging your own food
Foraging gives people access to unusual foods as well as the experience of harvesting them directly from nature. But could it be doing more harm than good?Matilda Welin (BBC)
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Scotland's UNESCO Trail
The first country in the world to bring together 16 UNESCO sites into one trail. Are you ready to discover the wonders within?VisitScotland
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Derrière le mythe de la « suradministration », l'impuissance organisée du secteur public - Élucid
#économie #politique #servicepublic
Dans le flot de propagande anti-fonctionnaires auquel nous sommes continuellement soumis se trouve l’idée que la France serait remplie d’agents publics qui, de leur propre initiative et pour le plaisir, s’amuseraient à définir des normes en tous genres pour compliquer la vie de tout un chacun. Si de nombreux problèmes bureaucratiques existent bien, ils trouvent leur source chez le politique et dans l’idéologie du marché, et non chez les fonctionnaires qui les subissent bien plus qu’ils ne les décident.
(article en accès libre)
elucid.media/politique/derrier…
Derrière le mythe de la « suradministration », l'impuissance organisée du secteur public
Les problèmes bureaucratiques proviennent de l’idéologie du marché et non des fonctionnaires français qui les subissentLuc Weinstein (Élucid)
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De l’Élysée à la Société Générale : le pantouflage XXL de l’intouchable Alexis Kohler - Élucid
#politique #corruption #lacorde #guillotine2025
Directeur de cabinet d’Emmanuel Macron à Bercy entre 2014 et 2016 puis Secrétaire général de l’Élysée dès 2017 et jusqu’à mars 2025 – le 2e record de longévité sous la Ve République –, Alexis Kohler n’était pas seulement le confident, le stratège et le garant démocratique du président Macron : il était la tour de contrôle de l’État. Surnommé le « vice-président » de la République et considéré comme l’un des hommes les plus puissants de France, il a habilement façonné les décisions, imposé les arbitrages, et verrouillé la machine exécutive. Kohler a joué le rôle de « géomètre qui met en ordre la machine de l’État », qui « corrige les défauts » d’un Emmanuel Macron « saltimbanque », rapporte Le Point. Comme il l’a lui-même énoncé, son bureau (qui jouxtait celui du président) représentait une « gare de triage ». Tout passait par lui, et c’est lui qui avait le dernier mot sur les arbitrages.
Cet homme, né en 1972 à Strasbourg, passé par absolument tous les rouages de l’élite politique française (Essec, ENA – promotion Averroès –, Sciences Po, HEC, Trésor, FMI…), est discret et pudique – il refuse les interviews et n'est apparu publiquement que lors des annonces de nouveau gouvernement, sur le perron de l’Élysée – et considéré comme austère, même s’il est capable aussi de dévoiler un vrai sens du l’humour. Il arbore un profil de technocrate implacable : il « lit tout, regarde tout avec un œil laser, précis, rigoureux… le bureau comme la tête : bien rangé », pouvait-on lire dès 2017 dans les colonnes de L'Express.
Ses proches vantent son dévouement, son travail acharné, et sa compatibilité de rythme, de parcours et d’idées – libérales – avec Macron, tandis que ses détracteurs critiquent son omniprésence, son omniscience, sa toute-puissance, l’endogamie politique qu’il a encouragée et son intransigeance. Selon certains ministres, il pouvait par exemple constituer les cabinets de certains ministres, parfois exprimer des réserves sur certaines nominations, ou encore « neutraliser » impitoyablement tout rival.
Ce contrôle total du pouvoir, « AK » l’a exercé pendant huit années, à huis clos, sans véritable capacité à sentir le véritable pouls des Français : « Il n'a pas, un peu comme le président, compris l'épaisseur de la société, sa diversité. Il a une vision très élitiste des rapports sociaux et de la société. Il représente une certaine morgue qu'a eue ce pouvoir », a déploré un leader syndical dans les colonnes des Échos. Et il l’a exercé sans interruption, à un rythme éreintant.
Il n’a jamais failli, et il a traversé avec Macron toutes les crises : Affaire Benalla, « Gilets jaunes », Covid, réforme des retraites, guerre en Ukraine… Selon plusieurs sources proches de la présidence, Kohler aurait fini par s’épuiser au contact d’un président devenu « imprévisible, parfois brutal », rapporte un ancien ministre, particulièrement depuis la dissolution de 2024. Sa loyauté indéfectible, doublée d’un tempérament obsessionnel du détail, ont fini par le consumer.
De SG de l’Élysée à Directeur général adjoint de la SG
Fin mars 2025, Alexis Kohler annonce sa démission de l’Élysée (et son remplacement par Emmanuel Moulin), et dans la foulée, la banque privée Société Générale (SG)– en pleine restructuration stratégique, sous l’impulsion de son nouveau directeur général, Slawomir Krupa (encore un cost-killer salué par les actionnaires, mais aux méthodes « radicales » dénoncées par les salariés) – officialise son recrutement. Une démonstration parfaite de la porosité entre les élites administratives et les milieux d’affaires, qui fait grincer des dents.
L’on découvre alors que Kohler y occupera le poste de Directeur général adjoint en charge des fusions‑acquisitions, des marchés actions et du financement d’acquisitions, soit un poste éminemment stratégique, au moment où la SG souhaite précisément redevenir un acteur clé dans le domaine. Pour la SG – qui n’est pas une entreprise lambda mais bel et bien une partie prenante des politiques publiques, notamment dans les domaines de la transition écologique, du financement de l’innovation ou des dettes souveraines —, embaucher « l’homme qui a piloté l’économie française » équivaut à un trophée stratégique.
Alexis Kohler coche toutes les cases pour y parvenir. Il a une connaissance fine des rouages de l’État et des grandes entreprises publiques, un réseau incomparable dans les sphères politiques, industrielles et financières, et une légitimité auprès des investisseurs internationaux, friands de profils à la croisée du public et du privé. Mais du côté du bien commun, ce pantouflage a de quoi susciter l’inquiétude : comment, dans un tel contexte, garantir l’indépendance, la neutralité et l’éthique publique ?
Pour autant, quelques semaines auparavant ce parachutage du public vers le privé, la Haute Autorité pour la transparence (HATVP) a jugé ce projet de « mobilité professionnelle » compatible avec ses fonctions passées, constatant qu’« il n’a accompli, dans le cadre de ses fonctions publiques au cours des trois dernières années, aucun acte relevant de l’article 432-13 [du Code pénal] à l’égard de [Société Générale] », soulignant donc que « le risque de prise illégale d’intérêts peut être écarté ». L’autorité impose toutefois des restrictions : Kohler, cet architecte de la Macronie en charge des dossiers économiques majeurs, devra s’abstenir pendant trois ans de toute démarche auprès de ses anciens interlocuteurs publics (ministres de l’Économie successifs, Premiers ministres, directeurs de cabinet, collaborateurs de l’Élysée, etc.) – ça fait vraiment beaucoup de monde – et ce, rappelle-t-elle, dans le but d’éviter tout conflit d'intérêts.
L’affaire MSC : Kohler mis en examen depuis 2022
Pour beaucoup, il s’agit là d’un feu vert politique qui décrédibilise l’institution, surtout après des signaux plus stricts dans d’autres cas récents (par exemple, Édouard Philippe récemment refusé chez Atos). Dans certains médias, on dénonce une impunité des élites et un affaiblissement des garde-fous éthiques qui nourrissent une crise de confiance démocratique déjà bien installée. Le Monde diplomatique a par exemple accusé dans un éditorial : « La HATVP devient complice d’une dérive systémique, où les hauts fonctionnaires se servent de l’État comme tremplin vers des postes lucratifs ».
Côté politique, à gauche, Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin ou encore des écologistes ont fustigé un « système de caste », un « copinage au sommet ». À droite, certains élus LR ou souverainistes ont également exprimé leur malaise, parlant de « connivence entre l’État et la haute finance ». Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac, s’interroge : « La HATVP avait elle-même saisi la justice contre lui. Comment peut-elle maintenant valider sa reconversion dans une banque ? ». Et oui ! Car la HATVP a effectivement déjà signalé Kohler à la justice, pour avoir manqué de déclarer ses liens familiaux avec l’entreprise MSC (Mediterranean Shipping Company), détenue par la famille Aponte, des cousins germains de sa mère.
Un oubli dévoilé par la presse en 2018. Mediapart révèle alors qu’Alexis Kohler, en tant que haut fonctionnaire de l’APE, a voté en conseil pour des contrats en faveur de MSC, à la suite de quoi, l’association anticorruption Anticor a déposé en mai 2018 une plainte auprès du Parquet national financier (PNF) pour « prise illégale d’intérêts », « trafic d’influence » et « corruption passive ».
En juin 2019, la Brigade financière remet un rapport préliminaire accablant. Le 1er juillet 2019, une mystérieuse « note » manuscrite du président Macron (sans en-tête officiel) est versée au dossier, faisant fi de tout respect de la séparation des pouvoirs. Y figure notamment que Kohler a révélé ses liens avec MSC au président et a demandé expressément « à ne pas traiter » des affaires concernant MSC, et que des « mesures d’organisation » ont été prises. Aussitôt, l’enquête patine : un second rapport de police fin juillet est expurgé d’éléments, et le PNF finit par classer sans suite. Ce revirement, dénoncé comme un « message », suscite l’indignation d’Anticor, qui se constitue alors partie civile.
Kohler est finalement mis en examen pour « prise illégale d’intérêts » et placé sous statut de témoin assisté pour « trafic d’influence ». Il lui est reproché d’avoir, de 2009 à 2016, « participé » à plusieurs délibérations – aux ministères des Finances et à l’Élysée – favorisant de près ou de loin le groupe MSC, malgré ses liens familiaux. « Choqué » et « indigné » que son « intégrité » soit « mise en cause », il conteste tout « avantage tiré » de cette situation. Alexis Kohler a cherché à obtenir la prescription, mais en novembre 2024, la chambre d’instruction de Paris a rejeté sa demande.
Chronologie des faits :
De 2010 à 2012 : Alexis Kohler, alors cadre du Trésor public et chef adjoint du cabinet au ministère de l’Économie, représente l’État au conseil d’administration de STX France (les Chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire) et au Conseil de surveillance du Grand Port maritime du Havre. À cette époque, le principal client de ces entités est le groupe de croisières Mediterranean Shipping Company (MSC), détenu par la famille Aponte – cousins germains de la mère de Kohler. Plusieurs votes votés en conseil du port du Havre et de STX favorisent des contrats avec MSC.De 2014 à 2016 : Au cabinet de Pierre Moscovici puis de Macron à Bercy, Kohler est responsable de dossiers industriels. En 2014, il sollicite la Commission de déontologie pour quitter son poste et rejoindre MSC : demande rejetée en raison des dossiers qu’il a traités favorisant alors le groupe maritime. Renouvelée en 2016, cette demande est finalement acceptée ! Kohler prend alors ses fonctions de directeur financier chez MSC fin 2016 tout en cumulant, parallèlement, un rôle de trésorier de la campagne d’Emmanuel Macron (28 000 € par mois à Genève). Il s’engage ensuite pleinement dans la campagne présidentielle en France.
Mai 2017 : Quelques jours après son élection, Emmanuel Macron nomme immédiatement Kohler Secrétaire général de l’Élysée. Le jour même de la passation, le président signe un revirement décisif : il réévalue à la hausse l’intérêt de l’État pour MSC face au projet de l’armateur italien Fincantieri. Officiellement, l’État « nationalise » les Chantiers de l’Atlantique pour sécuriser leur avenir. Un changement de cap industriel étrange, mais salué publiquement par Gianluigi Aponte, patron de MSC.
Malgré sa mise en examen, Alexis Kohler a gardé ses fonctions à l’Élysée, et Emmanuel Macron a publiquement déclaré faire « confiance à la justice » pour établir les faits. L’affaire a déjà coûté cher à l’image de l’exécutif : Anticor a relevé que les banques publiques (CDC et Bpifrance) ont financé pour 2,6 milliards d'euros de crédits à MSC lors de la crise Covid, un montant jugé exorbitant par rapport aux standards habituels d’intervention publique, en particulier pour une entreprise étrangère (MSC est domiciliée en Suisse), familiale (avec une gouvernance ultra-concentrée), et opaque (société de droit privé non coté en Bourse organisé en une nébuleuse d’entités juridiques internationales).
Kohler a-t-il pu, de près ou de loin, influencer ou faciliter ces financements en faveur de MSC, malgré sa position à l’Élysée et ses liens familiaux non déclarés à l’origine de sa mise en examen ?
L’homme qui ne se présente pas aux commissions d’enquête
D’un côté, l’affaire Kohler-MSC illustre parfaitement la porosité entre intérêts publics et privés, et alimente le récit d'élites qui se protègent et s’arrangent entre elles. Qu’un proche du président, mis en examen pour des faits relatifs à une entreprise, voie cette même entreprise bénéficier peu après de milliards d’euros de crédits publics sans transparence renforcée, suscite la défiance et alimente l’accusation de conflit d’intérêts structurel. De l’autre, l’arrivée d’Alexis Kohler à la Société Générale soulève également un véritable risque de réputation pour la banque française, et donc d’intérêt général et de souveraineté pour la France.
Pour un groupe engagé dans une restructuration brutale – fermeture d’agences, suppressions de postes, recentrage sur les activités les plus rentables –, le signal envoyé est trouble : les sacrifices sont pour les salariés, les honneurs pour ceux qui savent naviguer entre les arcanes de l’État et les hauteurs du CAC 40. Côté gouvernance, difficile de plaider l’éthique en façade tout en déroulant le tapis rouge à un homme qui reste, au moment même de sa nomination, sous le coup d’une enquête pour prise illégale d’intérêts.
Et puis, il y a le style Kohler qui a de quoi déplaire. En mars 2024, il ne s’est même pas présenté devant la commission d’enquête parlementaire sur les finances publiques, présidée par le député PS Philippe Brun. Convoqué en tant que figure centrale du pilotage budgétaire de l’État, il a préféré faire savoir, par lettre sèche, qu’il n’avait « rien à ajouter ». Même attitude quelques mois plus tôt face à la commission d’enquête sur la gestion de l’eau : silence radio.
Un haut fonctionnaire omnipotent pendant dix ans… mais manifestement peu désireux de rendre des comptes une fois les projecteurs tournés vers lui. Une culture de l’irresponsabilité feutrée qui fait système : le pouvoir, oui ; la transparence, pas pour moi, merci. En France, le soupçon de caste n’est plus un murmure : c’est un bruit de fond assourdissant. Et l’affaire Kohler en est l’écho le plus net.
elucid.media/democratie/de-l-e…
De l’Élysée à la Société Générale : le pantouflage XXL de l’intouchable Alexis Kohler
Épuisé par l’exercice du pouvoir autant que par son maître, l’homme fort de la Macronie s’est parachuté à la Société GénéraleMarine Rabreau (Élucid)
Le PIB et la croissance de la France 2ème trimestre 2025 - Élucid
#économie #poilitique #effondrement
Après un léger rebond de +0,3 % au 2e trimestre 2025, la croissance française reste très faible, loin de retrouver la dynamique de la période 1995-2007. Rapporté à la population, le PIB par habitant dépasse à peine son niveau d’avant-crise de 2019, ce qui traduit une stagnation du niveau de vie moyen depuis près de cinq ans.
Ce frémissement est en grande partie artificiel : la hausse des stocks des entreprises (+0,5 point) masque en réalité une demande intérieure atone (+0,1 point) et un commerce extérieur lourdement déficitaire (-0,3 point). L’économie réelle est donc en quasi-récession, et la désindustrialisation continue de peser sur le solde commercial.
Les ménages restent sous pression : revenus en hausse modérée (+0,4 %), mais charges encore plus lourdes (+0,8 %), pouvoir d’achat à peine préservé et consommation en berne. Le taux d’épargne (19 %) demeure élevé, alimentant surtout l’immobilier et l’épargne financière des plus aisés, tandis que de nombreux foyers restreignent leurs dépenses courantes.
Les entreprises voient leurs marges s’éroder sous l’effet de la hausse des taux, et les faillites d'entreprises atteignent un niveau historiquement haut. En toile de fond, la dette publique, proche de 3 500 Md€, soutient artificiellement l’activité, mais ne pourra pas croître indéfiniment. Sans cette béquille budgétaire, le modèle français, miné par le néolibéralisme européen, risque d’affronter une période de turbulences économiques et sociales.
elucid.media/analyse-graphique…
Le PIB et la croissance de la France 2ème trimestre 2025
À l'heure où l'UE pousse à l'austérité, la croissance artificielle de la France risque de déboucher sur une crise socialeOlivier Berruyer (Élucid)
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Patrick Breyer: "🇪🇺YES: Germany is not supporting the EU's #ChatControl bill as proposed!
The blocking minority needed to stop this illegal mass surveillance plan seems secured (for now). ✅
Opposition now also from LU🇱🇺 & SK🇸🇰!
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Patrick Breyer (@echo_pbreyer@digitalcourage.social)
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Lithops naureeniae in flower, images taken three days apart. This species is quite petite, max 2cm wide, but with beautiful markings.
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Dr Helen Wilson (@NellytheWillow@mastodon.social)
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Gilles Perret : « la question c’est : pourquoi ça n’a pas pété avant ? »
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“Morning, Alice.”
“Nice catch today.”
“Thanks.”
“So, how’s my credit?”
“Alice…”
“C’mon, Tom gets paid on Tuesday.”
“Alright, but this is the last time.”
“You’re the best, Sam.”
“I’m a sucker is what I am.”
Uncle Duke (@UncleDuke1969@universeodon.com)
Attached: 1 image “Morning, Sam.” “Morning, Alice.” “Nice catch today.” “Thanks.” “So, how’s my credit?” “Alice…” “C’mon, Tom gets paid on Tuesday.” “Alright, but this is the last time.” “You’re the best, Sam.” “I’m a sucker is what I am.”Universeodon Social Media
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aga.
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Tony Langmach
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